Article dans Toque magazine avec Marc Dewalque sur les levains

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Marc Dewalque.
Marc Dewalque. © A. DUFUMIER

Marc Dewalque, technicien du levain

01.10.24 Rencontres

Le chercheur, ancien boulanger et auteur du livre Levains, Marc Dewalque, détaille en quoi et comment l’emploi du levain en panification peut améliorer la qualité non seulement nutritionnelle mais aussi sanitaire des produits de panification. Propos recueillis par Alexis Dufumier

Mycotoxines, nitrosamines, acrylamide, résidus de produits phytosanitaires… outre les aspects nutritionnels et gustatifs du levain, ce dernier est intéressant également en tant qu’épurateur de composés indésirables dans le pain. C’est ce que nous enseigne l’ancien boulanger et chercheur Marc Dewalque, auteur de Levains*, rencontré lors d’une rencontre organisée par la coopérative Biocer avec ses clients boulangers.

La Toque magazine (LTM) : Pourquoi est-il intéressant de conserver la pratique du levain de nos jours ?

Marc Dewalque (MD) : Les avantages du levain sont nombreux, et en premier lieu sur le plan gustatif. Une personne que vous habituez à manger du pain au levain ne reviendra jamais en arrière ! Un autre avantage — souvent peu mis en avant — est le rôle épurateur du levain, avec très certainement des impacts positifs en matière de santé humaine. Des recherches nous montrent, par exemple, de façon très claire comment les levains épurent la pâte de molécules que l’on appelle les mycotoxines. Ces molécules toxiques sont notamment produites par des champignons sur les céréales en conditions d’années humides au moment des moissons.

De nombreuses recherches ont montré que les levains sont capables de dégrader certaines molécules de produits phytosanitaires résiduels. (© A. DUFUMIER)

LTM : Pouvez-vous donner un autre exemple ?

MD : Il a été démontré un rôle préventif du levain dans la formation de l’acrylamide, un facteur antinutritionnel et cancérogène qui se forme notamment dans la croûte du pain à la cuisson pendant les réactions de Maillard. Claire Micheaux** a, entre autres, mis en évidence une capacité du levain à dégrader l’asparagine qui est un précurseur de la formation de l’acrylamide. C’est intéressant, notamment pour les personnes qui consomment d’importantes quantités de pains contenant beaucoup de croûte, comme les pains de type suédois, par exemple. Le 24 avril 2002, l’Administration nationale (suédoise) de l’alimentation avait été la première à publier une information concernant le risque de cancer que peuvent entraîner certains aliments de base, dont le pain, de par leur teneur en acrylamide. Il serait bon de noter également que la farine complète a une plus grande teneur en sucres réducteurs et asparagine, et se trouve donc plus à risque de formation d’acrylamide. C’est en effet l’asparagine qui se lie avec des sucres réducteurs pour former l’acrylamide.

Il a été démontré un rôle préventif du levain dans la formation de l’acrylamide, un facteur antinutritionnel et cancérogène qui se forme notamment dans la croûte du pain à la cuisson pendant les réactions de Maillard. (© A. DUFUMIER)

LTM : Y a-t-il d’autres effets épurateurs connus ?

MD : De nombreuses recherches ont montré que les levains sont capables de dégrader certaines molécules de produits phytosanitaires résiduels. Ils dégradent également les tanins ou les phytates, qui sont naturellement présents dans le grain de blé et peuvent jouer le rôle de facteurs anti-nutritionnels. Un autre aspect positif du levain en tant qu’épurateur, est de pouvoir bloquer — grâce à la fermentation lactique — la transformation des nitrates en nitrites et en nitrosamines, ces molécules cancérogènes qui font tant scandale dans l’industrie de la charcuterie. La production de nitrites et de nitrosamines peut en effet intervenir en panification, du fait de la présence de nitrates dans le grain de blé et la farine.

LTM : Comment est-ce que cela fonctionne ?

MD : Le pouvoir épurateur du levain est directement lié à la diversité du microbisme qu’il contient. Cette diversité génétique s’exprime par la mise en place d’un arsenal enzymatique capable de transformer, de dégrader les molécules et d’accélérer les réactions chimiques. En outre, le levain utilisé comme véritable agent de fermentation de la pâte — et pas seulement comme additif pour apporter du goût — améliore les qualités nutritionnelles du pain ; de la même manière que la choucroute fermentée se remplit de vitamines du fait de l’action des bactéries. La choucroute est un produit également gorgé d’antifongiques, produits par les bactéries et qui l’empêchent d’être colonisée par des champignons, c’est-à-dire de moisir. Le pain au levain bénéficie de ces propriétés et il est beaucoup moins sujet au risque de développement des moisissures. La maladie du pain filant, qui atteint le cœur du pain — c’est-à-dire l’endroit où la température de cuisson n’a pas pu procéder à une stérilisation —, est évitée dans le cas des pains aux levains, à condition d’atteindre un niveau d’acidité de la pâte suffisant. La problématique cependant lorsqu’on laisse trop la vie se développer dans la pâte au levain, est de dégrader également trop fort les protéines ou les amidons, notamment, avec le risque d’obtenir des pains plats.

LTM : Pourquoi ne pas utiliser des additifs ?

MD : Les solutions trouvées consistent parfois à travailler avec des additifs pour épurer une pâte à pain. On peut, par exemple, ajouter des asparaginases, qui vont transformer l’asparagine et limiter réellement l’effet de production de l’acrylamide. On peut acidifier la pâte avec des acides pour prévenir le défaut de mie filante… L’avantage est l’impression de maîtriser ce que l’on fait. Cependant, à chaque fois, est apportée une solution unique à un problème unique. Avec le levain, on perd en maîtrise mais on gagne un effet beaucoup plus global pour purifier une pâte et il apporte une survalorisation nutritionnelle et gustative. Nous avons aujourd’hui suffisamment de retours d’expériences et d’études montrant que le travail des levains en fermentation est une voie porteuse.

LTM : Dans ce travail de réhabilitation du levain, en quoi est-il utile de s’intéresser aux anciennes écoles du levain ?

MD : Le XVIIIe siècle, notamment — connue sous le nom de siècle des Lumières —, est une époque charnière avec une explosion de la diffusion de la connaissance. C’est aussi l’une des dernières périodes où les boulangers devaient produire du pain sans additifs, sans chambres de température contrôlée, et sans levures disponibles toute l’année. Ils avaient donc développé l’une des pratiques les plus pointues du travail des levains, sans doute même la pratique la plus pointue qui ait jamais existé. C’est pourquoi je me suis beaucoup intéressé aux travaux d’Antoine Augustin Parmentier, qui a publié Le Parfait Boulanger ou Traité complet sur la fabrication et le commerce du pain en 1778. On peut citer également son prédécesseur Paul-Jacques Malouin, et son ouvrage : L’Art de la boulengerie ou description de toutes les méthodes de pétrir, pour fabriquer les différentes sortes de pastes et de pains, édité une première fois en 1767.

Le levain jour un rôle épurateur, avec très certainement des impacts positifs en matière de santé humaine. (© A. DUFUMIER)

LTM : Pourquoi n’utilisait-on pas massivement de levure au XVIIIe siècle ?

MD : La récupération de levures de brasserie à cette période était possible et déjà pratiquée pour la confection de pains blancs de type viennois. Cependant, son usage ne pouvait pas encore être systématisé car l’accès à une levure saine et constante en termes de qualité n’était pas assuré. Nous vivons qui plus est dans un pays de tradition viticole, avec une cuvée par an, ce qui est trop peu pour récupérer de la levure tout au long de l’année pour la boulangerie. C’est pourquoi la France est restée un pays de tradition de pain au levain, comparativement à d’autres pays.

LTM : Que retenez-vous de la lecture des anciens ?

MD : Les écoles du levain du XVIIIe siècle sont encore pour nous, boulangers, une grande source d’inspiration et de perfectionnement. Elles ne sont cependant pas forcément toutes transposables, du fait de contraintes en termes de main-d’œuvre — avec le travail jour et nuit — et de changements de la perception du goût par les consommateurs. Il faut bien se rendre compte que, traditionnellement, l’acidité apportée par le levain était une fonction recherchée par la boulangerie. Les méthodes décrites par Antoine Augustin de Parmentier rapportent ainsi qu’au bout du cinquième rafraîchi, il fallait ajouter un levain vieux à la préparation afin de ne pas perdre cette capacité d’acidification du levain. D’ailleurs, encore aujourd’hui, toute une tradition allemande de panification est de travailler sur des pâtes levurées avec ajout de pâte de levain acide vieille d’une semaine pour la seule fonction d’acidification de la pâte. En panification française, nous voulons presque tous lutter contre l’acidité du levain. Il est intéressant de constater ce virage culturel car les anciens ne voulaient surtout pas la perdre. De nos jours, on a tendance ainsi à raccourcir la durée entre les rafraîchis, ce qui favorise la levure dans le levain face aux bactéries acidifiantes. Les levures sont des sprinteuses, tandis que les bactéries sont des marathoniennes. Pour faciliter l’organisation, on travaille par ailleurs de plus en plus sur deux rafraîchis plutôt que trois pour les anciens, et surtout avec de la farine claire, comme la T65.

* Le livre, paru en 2021 n’est plus édité. Son contenu est néanmoins accessible gratuitement en ligne dans sa seconde édition et mis à jour régulièrement en ligne sur : https://levainbio.com/cb/levains/

** Micheaux C. Acrylamide… : tartines et compagnie. Industries des Céréales 2015;191:7-11.

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